Rien n’oblige à mener une carrière linéaire, écrite d’avance, sans surprise. La plupart des Sussus que nous interviewons en sont la preuve, empruntant des chemins inattendus, au gré des rencontres, des opportunités et des envies. Simone Wapler fait partie, elle aussi, de ces diplômés qui racontent leur histoire avec une étincelle dans la voix. Son parcours, coupé en deux séquences distinctes, est un exemple de la part d’imprévu à laquelle ont le droit de croire les jeunes ingénieurs en attaquant leur vie professionnelle.
Simone, dans quel état d’esprit avez-vous entamé votre carrière, une fois votre diplôme en poche ?
Je voulais vraiment faire un métier d’ingénieur. Faire du papier, de l’administratif, des tableurs Excel, ça ne m’intéressait pas. Alors j’ai commencé dans un bureau d’études en charge d’équipements militaires, sous-traitant de l’industrie aérospatiale. J’y ai trouvé un environnement avec de la petite mécanique, de la propulsion, des systèmes d’armement et de détonation, etc. C’était une première expérience plaisante car nous avions beaucoup de liberté de manœuvre, une grande culture technique, et nous étions une équipe jeune. J’y suis restée huit ans.
Puis il y a eu l’acte 2 ?
J’ai rejoint une entreprise spécialisée dans les équipements moteurs pour l’aéronautique civil et militaire. J’étais spécialiste de l’allumage des parties chaudes, c’est-à-dire de la combustion. Ce furent 10 années très épanouissantes, marquées par une forte autonomie. Jusqu’au moment du rachat par la Sagem, qui s’est avéré être un désastre, exemple flagrant de ce que peut être la destruction de valeur.
« Après 20 ans dans des entreprises, j’ai voulu devenir journaliste pour raconter de belles histoires techniques de façon compréhensible pour un large public »
C’est ce rachat qui vous poussé à partir, mais pas seulement…
En effet. Ayant gouté pendant une vingtaine d’années à la culture et à la vie d’entreprise, j’ai été attirée par un nouveau métier : j’ai voulu écrire de belles histoires sur la technique, devenir journaliste et écrire. Nous sommes alors en 1996, au début de l’ère internet, à l’heure de passer de l’électronique classique à la numérisation. Or, et il est important de le rappeler, la numérisation est un domaine dans lequel l’aéronautique a été précurseur. On oublie que ce qui a fait le succès d’Airbus, c’est la numérisation des commandes de vol, qui était alors un pari audacieux et gagnant, puisque les appareils Airbus ont gagné en légèreté et en autonomie. J’avais donc une place à me faire, car il y avait dans la presse écrite un très fort besoin de vulgarisation de ces sujets.
Parmi les histoires techniques que vous avez racontées, certaines vous ont marquée ?
Prenons un exemple. A la fin des années 2000, France télécom avait le monopole de la voix. Il y avait alors des réseaux voix et des réseaux données. La voix, ce sont des signaux analogiques, qu’on faisait payer très cher aux gens. Les réseaux de données, on les faisait payer moins cher, notamment aux entreprises. Des petits malins se sont dit à l’époque qu’en numérisant la voix, on pouvait la faire passer sur des réseaux de données pour ensuite les vendre aux entreprises. Voilà une histoire qui m’a semblé particulièrement intéressante à raconter.
Vous voilà donc journaliste, à l’aube de l’an 2000…
J’ai fait mon trou en tant que journaliste pigiste dans la presse professionnelle. Au bout de quelques années, après avoir fait le tour des sujets techniques, si tant est qu’on puisse en faire le tour, j’ai commencé à écrire sur des sujets financiers. Mon principal client était l’éditeur privé d’une lettre financière à destination d’investisseurs privés, qui a fini par m’embaucher, et chez qui j’ai passé 20 ans, à écrire des histoires financières.
« Pour comprendre l’environnement qui vous entoure, il faut aussi comprendre la finance »
Passer du métier d’ingénieur à celui de journaliste financier, c’est un changement radical. Comment avez-vous pu acquérir ces nouvelles compétences du jour au lendemain ?
J’ai pris le temps de m’acculturer à ces sujets. Au final, on s’aperçoit vite que beaucoup de journalistes spécialisés et de banquiers eux-mêmes n’y connaissent pas grand-chose. Moi, j’avais eu la chance d’avoir été sensibilisée aux sujets économiques lors de ma vie précédente dans l’aéronautique, où nous étions confrontés aux taux d’intérêts, aux cours du dollar, du pétrole, des métaux, etc. J’avais déjà compris depuis longtemps que pour comprendre l’environnement qui vous entoure, il faut aussi comprendre la finance. Et si l’on se donne la peine de mouliner les données et d’aller à la source des renseignements, on finit par comprendre les mécaniques de marché, le système bancaire, etc. J’ajoute que lorsque vous êtes journaliste, les gens que vous interviewez se décarcassent pour vous expliquer bien les choses, de peur que vous ne les racontiez pas comme il faut.
Quel regard portez-vous sur cette carrière à deux chapitres distincts ?
J’ai passé les 20 premières années de mon parcours à être payée pour bricoler. Puis les 20 suivantes à être payée pour lire et avoir des idées, ce qui tombait bien parce que j’adorais lire et que lire donne des idées. En France, les employeurs apprécient les parcours linéaires qui les rassurent ; si l’on est ingénieur, généralement on le reste. Les Anglo-Saxons sont beaucoup plus ouverts aux parcours atypiques, qui sont valorisés. Je souscris bien plus volontiers à cette mentalité qui donne sa place à l’essai, à la prise de risque. Il ne faut pas avoir peur de mener des carrières originales.
Quitte à risquer de parfois se tromper ?
Absolument. Dans des secteurs tels que l’industrie, l’erreur coûte cher et est souvent sanctionnée. C’est particulièrement vrai en France. Ça l’est moins outre-Manche, où il est beaucoup mieux admis de se confronter aux expériences, de faire preuve de créativité. Cette mentalité consiste à dire que si ça ne marche pas, on corrigera, qu’on va trouver dans l’erreur une voie d’amélioration, à condition bien sûr de savoir assumer les échecs et de revoir le processus intellectuel pour aller de l’avant et faire mieux la prochaine fois. On doit apprendre à apprendre par l’erreur, se remettre en cause et rester humble même face aux succès.
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