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« J’ai eu la chance de vivre pas mal d’aventures » nous dit Gilles (1965)

Portraits

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25/03/2024

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Les joies d’une carrière tiennent parfois autant aux rencontres et aux voyages qui la façonnent qu’au métier qu’on exerce. Exemple avec Gilles de Kersabiec, qui revient sur un parcours jalonné de découvertes par-delà nos frontières.

Gilles, quel projet aviez-vous en sortant de l’École ? 

Je n’en avais pas tellement, je ne connaissais rien à la vie industrielle, sans doute en raison de ma culture familiale, mon père était Officier des Haras. J’étais spontanément davantage attiré par la Marine, mais ce n’est pas le chemin que j’ai pris. Une fois diplômé, j’ai envoyé mon CV et suis tombé un peu par hasard dans la Sidérurgie, en intégrant Sacilor en Lorraine qui était alors en pleine construction, j’ai intégré le Département Études et Travaux Neufs, service ponts roulants (de véritables usines pour les ponts de 400 tonnes). Je me suis formé sur le terrain. Dès mon arrivée, je suis allé voir un Technicien expérimenté et lui ai dit : je n’y connais rien, je voudrais vous suivre pendant un an, et observer tout ce que vous faites. Voilà comment ça a commencé. Après treize années de travail avec des responsabilités successives dans la construction et mise en service du laminoir et de l’aciérie, j’ai été appelé par l’étranger.

C’est le tournant de votre début de carrière, une première opportunité à 4 000 km de chez vous…

En effet, j’ai accepté dans le cadre du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) une mission en Mauritanie, pour un gros projet de construction d’une usine d’enrichissement de minerais de fer à Zouerate en plein désert et d’une centrale électrique. Ce fut une période passionnante. J’étais en charge des équipements électriques et des automatismes, qui avaient été mis au point au Canada par des ingénieurs Taiwanais, qui faisaient preuve d’une dextérité extraordinaire. Le matériel, une fois testé, a été expédié dans cette usine en plein désert. Après la construction et la mise en service, j’ai eu la charge de former le personnel local et d’assurer l’exploitation et l’entretien des équipements électriques de l’usine et de la centrale. J’avais des tâches très techniques et variées. Je suis resté quatre ans là-bas. C’était un contexte à part, sans ordinateur, sans téléphone, loin de tout, sans contact avec ma famille …...

« Lorsque vous êtes dans une usine ultra-moderne et que vous voyez passer au loin une caravane dans le désert devant un coucher de soleil, ça donne un peu de distance »

 

Que vous a appris cette expérience, au-delà de la technique même ?

Ce qui me plaisait le plus, c’était la découverte d’une nouvelle culture, de nouvelles coutumes. J’y ai appris à changer un peu ma façon de voir les choses. J’arrivais en effet avec mes idées de français bien formées selon lesquelles une usine, pour être rentable, doit tourner 24 heures sur 24 ; or, quand j’arrivais le matin, je trouvais les machines arrêtées, et mon équipe en train de prendre le thé, tranquillement allongée. J’étais d’abord furieux, puis mes techniciens me disaient : « patron, viens prendre un thé, ne t’inquiète pas, on va y retourner ». Et ça fonctionnait ! Ils étaient très bons en dépannage , ils marchaient au flair comme dans le désert, en revanche lorsque je m’avançais à leur demander d’analyser les causes de la panne pour en éviter une autre, ils s’en remettaient à Dieu : « s’il  le veut, il y aura la panne ». Leur sérénité et leur rapport au spirituel m’ont appris à prendre du recul sur les événements, à prendre le temps, à vivre l’instant présent. Lorsque vous êtes dans une usine ultra-moderne et que vous voyez passer au loin une caravane dans le désert devant un coucher de soleil, ça donne un peu de distance.

L’étape suivante fut Eurotunnel. Comment s’est dessinée cette opportunité ? 

Les hasards de la vie* ! J’ai rencontré, sur une piste de ski à La Clusaz, un de mes anciens patrons de la sidérurgie, qui m’a dit : on lance Eurotunnel, et voyant mon intérêt il ajouta « quand vous aurez terminé votre contrat, contactez- moi ! » Et l’aventure du tunnel sous la Manche a commencé. On m’a confié la gestion des avant-projets qu’on devait présenter à une Commission Intergouvernementale (CIG), sur le génie civil, les automatismes, les réseaux électriques, les stations de pompage… c’était un métier très technique, avec des enjeux importants. J’ai appris énormément sur les équipements fixes . On m’a demandé ensuite, d’écrire la synthèse de tous ces avant-projets. Un beau défi !

Qu’est-ce qui vous a le plus enthousiasmé dans ce challenge ?

J’ai été ravi de connaitre nos amis Britanniques. Encore une nouvelle culture, avec un management beaucoup plus souple, moins hiérarchique, moins rigide qu’en France. En Angleterre, après une journée de travail, on va au pub, on y parle encore des réunions fraichement tenues, et on revient le lendemain matin au bureau avec de nouvelles idées. Outre-Manche, on fait confiance à celui qui a prouvé ses qualités et aptitudes. Je me rappelle une réunion importante de Direction, j’ai fait un exposé sur les risques de rupture du réseau électrique des deux côtés de la manche en cas de tempête, en incluant la proposition de solutions de secours via des groupes électrogènes installés des deux côtés du tunnel. Au terme de ma présentation, les seuls à être venus me féliciter furent les Britanniques…

Vous avez fait toute la suite de votre carrière dans ce secteur, avec de belles évolutions…

Oui, j’ai été en charge de tous les équipements fixes (stations de pompage, de ventilation, et distribution d’eau en cas d’incendie) et des réseaux électriques sur les deux sites : arrivée 225 KV et distribution X France et  X Angleterre. J’ai terminé ma carrière en étant responsable de la maintenance et de l’exploitation de toutes les infrastructures électromécaniques, tunnel et terminaux (UK et France)

L’heure de la retraite a sonné en 2005. Que retenez-vous de plus enthousiasmant dans ce parcours très marqué par l’international ?

Les équipes que j’ai côtoyées, en Mauritanie et en Angleterre. Le contact avec ces personnes que je ne connaissais pas. La rencontre avec ces cultures. J’ai eu la chance dans ma carrière de vivre pas mal d’aventures : en termes de voyage, de métiers, de cultures, de projets.

Que vous reste-t-il de votre passage par l’ESME Sudria ? 

J’y ai appris beaucoup sur l’électrotechnique. Je suis heureux et fier d’avoir pu développer, avec mes collègues de cette génération, la réputation de l’École.

Un mot à destination des jeunes diplômés ? 

Un ingénieur est appelé à manager très rapidement dans sa carrière. J’encouragerais les jeunes à faire confiance aux équipes qu’ils seront amenés à manager, à les écouter, à les reconnaitre.

 

*une forme de networking comme une autre


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