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Le télétravail a-t-il un sens ?

Pour réfléchir

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01/06/2020

Au coeur de l’actualité de cette épidémie, le travail a occupé une place de choix. Nombre d’articles, d’études, ou de sondages essayent de livrer un retour d’expérience sur les circonstances exceptionnelles que nombre de salariés ont pu connaître ces derniers mois.

Le télétravail en particulier se trouve au centre des observations. Celui-ci aura concerné une partie spécifique de la population active, celle pour laquelle l’exercice du métier était « délocalisable » du bureau, et l’exercice des responsabilités opérable à distance. Ces conditions concernent en particulier (mais pas que) le public des cadres.

A l’issue de la période de confinement, des enseignements semblent promouvoir le télétravail, comme solution à généraliser à l’avenir. Cependant, les enjeux concernant le travail des cadres se situent actuellement bien plus sur la qualité de vie au travail, voire le sens du travail, que les modalités pratiques d’organisation de celui-ci. 

Voici trois idées simples pour que ce débat autour du télétravail ne dévie pas de cet enjeu.

Idée n°1 : Félicitons les rameurs avant d’honorer l’embarcation !

Faut-il rappeler que ce contexte était tout sauf normal, et donc qu’il n’est absolument pas représentatif d’un état « stable ». Car l’expérience du télétravail s’est mise en place de manière improvisée, individualisée et exclusive. C’est-à-dire que le télétravail a été expérimenté dans un contexte d’urgence, imposé à tous, et à chacun dans son environnement très personnel. Soulignons qu’il n’y avait pas d’alternative, que tout devait être opéré exclusivement au domicile sans aucune modulation possible (certaines entreprises ont en effet décidé de fermer leurs bureaux). Ce fut donc en vérité une expérience de « télétravail forcé ».

Considérer ce confinement comme une source d’analyse de l’organisation future du télétravail serait donc dangereux. Cela a fonctionné ? Oui, c’est le cas en effet, du moins en apparence, et en termes de travail effectivement produit. Mais ce serait avant tout le résultat du dévouement et de l’engagement des collaborateurs, plus que la confirmation d’un mode opérationnel exemplaire du télétravail. 

Avant de mettre le projecteur sur la qualité de l’organisation du télétravail et de ses modalités, acceptons de souligner les qualités humaines qui lui ont permis de fonctionner, qui sont de nouveau un signe de l’extraordinaire capacité d’adaptation de nombreux collaborateurs et cadres dans des contextes atypiques.

Idée n°2 : Ne cédons pas aux vielles sirènes de la productivité …

Mais la tentation est néanmoins forte de conclure que le télétravail se généralisera demain à de nombreuses organisations. Car, si les circonstances l’imposent encore par endroits, le constat semble unanime : la productivité du télétravail a été validée ! Mais la question de départ est mal posée, car le choix du télétravail ne doit pas reposer sur sa productivité, démontrée ou pas. 

Le télétravail reposait jusqu’à présent largement sur une recherche de meilleur équilibre vie privée - vie professionnelle. Certes, il apparaît que les collaborateurs - notamment franciliens - ont apprécié ces dernières semaines de s’affranchir des transports en commun. Mais, isoler l’impact du télétravail sur le seul paramètre « aller retour domicile-travail » est réducteur. Car aux côtés de ces bénéfices, viennent aussi se nicher des limites, notamment l’absence ou le manque de relations sociales directes. L’importance des soft-skills est suffisamment invoquée par les entreprises pour être au coeur des rôles professionnels, plus que les outils de communication. D’autre part, malgré la quantité de travail délivrée, le télétravail a été souvent associé à des conditions telles que le stress, la désorganisation, l’isolement ou la fatigue cognitive. 

Généraliser le télétravail pour raison de productivité, sur un simple critère quantitatif, c’est en oublier les éléments qualitatifs, qu’ils soient favorables ou non. Décider au travers d’indicateurs quantitatifs nous ramènerait aux temps anciens des choix d’organisation taylorisées, qui occultaient tous les leviers des qualités humaines au travail. Car la motivation des cadres, leur engagement, leur dévouement - qui ont justement permis de traverser les mois de confinement dans des conditions chaotiques - appellent d’autres grilles de lecture que la quantité d’heures fournies. Parler télétravail, c'est donc surtout un choix de répartition des charges de travail, de rythme horaire et de proximité managériale, lesquels conditionnent bien davantage aujourd’hui le sens au travail.

Idée n°3 : Regardons la forêt plus que l’arbre qui ne la cache pas !

La question n’est pas de trancher pour ou contre le télétravail. Car, au delà du caractère bien atypique de cette expérience de « télétravail forcé », nous devons nous rappeler quelques éléments représentatifs du monde du travail actuel, dans lesquels la présence « au bureau » est depuis longtemps une image du passé. 

En voici au moins trois réalités :

  • d’une part, le travail à distance fait partie intégrante du travail depuis bien longtemps. Organisations matricielles, décentralisées, internationales, partenariales …. Même si travail à distance et télétravail ne se confondent pas, le quotidien des postes à responsabilité est envahi de contacts à distance, de déplacements et de tâches avec mise en oeuvre de modalités distancielles. Et, c’est avant tout pour cette raison que le télétravail existe : parce que certaines opérations ou fonctions reposent sur une capacité de réalisation « sans lieu fixe » ou avec moindre dépendance de la présence physique ..
  • d’autre part, le télétravail est déjà une réalité pour nombre de cadres. D’une part sous sa forme légale, à savoir l’autorisation de travailler quelques jours par semaine à son domicile, modalité qui certes met du temps à entrer dans nos habitudes. Mais l’ordinateur professionnel est aussi largement utilisé au domicile par les cadres, dans le secteur privé notamment, comme une extension de la plage de horaire de leur travail, en soirée, voire le week-end …
  • enfin, nombre de postes de cadres ne sont plus du salariat « stable » dans de grandes organisations, mais s’exercent sous forme de statuts indépendants ou de professions itinérantes, qui organisent d’ores et déjà leur vie professionnelle entre leur domicile, un ou plusieurs bureaux, ou leurs clients, voire des tiers-lieux tels les espaces de travail partagés.

En résumé, la question de l'avenir du télétravail ne semble pas le bon périmètre de réflexion. La question du télétravail est désormais un simple curseur - plus ou moins de présence au domicile - qui a déjà pris place dans le quotidien de milliers de collaborateurs, et apporte un équilibre nouveau, avec productivité, mais également "autre chose".

Car l’enjeu derrière cette question du télétravail concerne avant tout la qualité de vie au travail, et des postes à responsabilité en particulier. Questions de rythme de travail, questions de charge de travail, questions de management et d’organisation des priorités, questions d’interactions sociales et de coopérations, questions de reconnaissance sont bien plus au coeur des enjeux du travail. D’ailleurs, si on y regarde de près, le décrochage, l’épuisement professionnel, le désengagement, la perte de sens ne proviennent pas du lieu d’exercice du travail … Sans doute vaut-il mieux venir au bureau dans un contexte stimulant, que rester chez soi sous la pression d'un management hyper contrôlant.

J’espère orienter ainsi les discussions vers des enseignements plus nuancés sur cette crise en termes de travail. J’alerte le management sur le caractère essentiel de placer les débats sur la qualité de vie au travail, au risque d’aggraver une situation déjà bien complexe pour nombre de leurs collaborateurs. 

Laurent Polet, après 20 ans en management opérationnel, est Professeur en Management à l’Ecole Centrale Paris depuis 2008, et a co Fondé en 2013, Primaveras, l'École du Sens au Travail.

L'association a développé un contrat de partenariat avec Primaveras ce qui nous permet de vous proposer des conférences et des ateliers.

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