La tête dans les étoiles, les pieds sur terre...
Entretien passionnant avec un passionné : Philippe Laudet, Responsable des programmes Astronomie et Astrophysique au CNES. Voyage entre le rêve de gosse d’un astrophysicien qui a participé aux plus emblématiques missions spatiales de ces dernières années, et la lucidité d’un ingénieur qui porte un regard soucieux sur le monde et ses immenses défis.
Philippe , l’astrophysique, et de manière générale, tout ce qui touche à l’espace, fait rêver. Qu’est-ce qui a nourri chez vous cette envie irrépressible d’aller vers les étoiles ?
L’astrophysique est une de mes passions de longue date. Dès l’adolescence, je ne pouvais m’empêcher d’aller poser des questions à mes professeurs, sur la vitesse de la lumière, sur les étoiles, sur bien des choses qui éveillaient ma curiosité au quotidien. Au fond, j’aspirais déjà à prendre part à des travaux qui puissent faire avancer la recherche, la connaissance de l’univers et des planètes.
Quelques années plus tard, lorsque vous vous retournez sur votre carrière, quels sont les projets dont vous êtes le plus fier ?
J’en retiendrai trois. Tout d’abord, celui auquel j’ai pris part dans le cadre de ma thèse, à Toulouse, au CESR (devenu IRAP : Institut de recherche en astrophysique et planétologie), à savoir la conception et le lancement du télescope d’imagerie gamma « Sigma », conçu par des scientifiques géniaux du CEA et du CNRS. Ensuite, ma participation au lancement du satellite CoRoT, dédié à l’observation des étoiles, de leurs pulsations, de leur structure, et la détection des exoplanètes qui gravitent autour. Et enfin le lancement du sismomètre SEIS, en mai 2018, qui a atterri sur Mars en novembre.
« Avec le sismomètre SEIS, nous avons de quoi publier pendant des décennies, aussi bien sur le noyau interne de Mars, que sur sa croûte, son manteau, son atmosphère… »
Ce projet de sonde lancée sur Mars est récent. La satisfaction est-elle encore intacte ?
Oui, d’autant que les performances de cet instrument se sont avérées encore supérieures à ce que nous attendions. Avec cet outil, nous avons de quoi publier pendant des décennies, aussi bien sur le noyau interne de Mars, que sur sa croûte, son manteau, son atmosphère. Vous savez, les données sismologiques transmises par les sondes qui avaient été envoyées par les missions Apollo sur la Lune continuent aujourd’hui d’être étudiées, 50 ans après !
Derrière l’aspect évidemment historique d’un lancement de sonde sur Mars, dans quelle mesure ce projet a-t-il été, aussi, une formidable expérience humaine ?
Un projet d’une telle ampleur vous place à la croisée des cultures, entre les CNRS et le CNES, entre les chercheurs et le monde industriel, et puis en relation avec les ingénieurs de la NASA. L’ingénieur NASA sait aussi bien comprendre les spécifications que leur raison d’être et la manière de les atteindre, tout en étant capables d’aller devant une fraiseuse et usiner une pièce qui va changer la donne et permettre aux instruments de mieux fonctionner. Et puis au cœur de tout cela, il y a le dialogue, la communication entre tous ces savoir-faire, entre tous ces métiers et ces cultures. On dit souvent qu’avant de parler aux Martiens, il faut savoir se parler entre humains.
Que reste-t-il à réaliser pour un scientifique comme vous qui a vécu des moments si forts ?
Il me reste trois belles années avant de prendre ma retraite. Des années très prometteuses, puisque je suis aujourd’hui à l’interface entre le CNES et les astrophysiciens, qui regardent beaucoup plus loin, en direction de la formation des premières galaxies. C’est là que je veux terminer ma carrière, en atteignant mon rêve d’adolescent, l’astrophysique. C’est donc loin d’être fini. Le 1er juillet a été lancé le télescope Euclid, chargé de cartographier l’énergie noire. Quel projet excitant. D’autres sont en cours de préparation, comme Athéna, qui sera tirée en 2032 et partira explorer le cosmos. Quand on vit tout cela, on se dit que la retraite sera forcément frustrante (NDLR : rires).
La réalisation de ce rêve d’enfant est passée pour vous, après le bac, par la case ESME. Quelle place l’école a-t-elle dans votre histoire, dans votre réussite ?
Lorsque je suis entré à l’ESME, je savais que cette école allait me former à toutes les techniques généralistes que je serais amené à croiser sur ma route. Par la suite je me suis spécialisé dans le domaine spatial, avec notamment un DEA d’astrophysique à Toulouse, dont le programme correspondait exactement à ce que je cherchais. Au passage, il m’a fallu exceller pour passer devant quelques Polytechniciens et diplômés Supaéro, afin de pouvoir faire ma thèse, puis entamer ma carrière avec un premier job dans un laboratoire de recherche. En tout cas, je n’ai jamais regretté ce choix d’être passé par l’ESME, car ce cursus a été un excellent point de départ. Cela m’a donné l’avantage d’être un ingénieur parmi les chercheurs, avec la rigueur, l'organisation, la méthodologie et la manière de penser qui sont propres à un ingénieur, et que j'ai pu apporter. Cela m'a en outre permis d’acquérir une base sérieuse sur tous les sujets : électrotechnique, mécanique, électronique, mais aussi l’anglais !
Oui, car l’aspect international est éminemment important dans une carrière d’ingénieur dans le domaine spatial, puis d’astrophysicien…
Absolument. La chose la plus passionnante juste après les résultats scientifiques en eux-mêmes, c’est cette chance d’être amené à travailler avec des gens d’autres cultures, de les découvrir et de voir quel regard ils portent, eux aussi, sur nous et notre culture. J’ai suivi un stage de la NASA à Cap Canaveral, qui regroupait 50 stagiaires venus des quatre coins du monde. On nous a fait faire des exercices sur la compréhension des cultures. Cette expérience unique m’a outillé pour arriver à travailler par la suite avec des gens de toutes nationalités. Par la suite, j’ai pu constater des différences entre les collaborateurs de tel ou tel pays. Par exemple, les Allemands et les Américains sont parmi ceux avec lesquels il a été le plus agréable de travailler.
« Les Américains aiment notre créativité, notre capacité à trouver des solutions originales pour nous en sortir et compenser le fait que nous n’avons pas la même force de frappe qu’eux
Comment étiez-vous perçu en tant que Français ?
Je savais que je serais perçu dans un premier temps comme quelqu’un d’arrogant, car c’est la réputation que nous avons souvent, nous, Français, notamment chez les Américains. Mais dans le même temps, ils aiment notre créativité, notre capacité à trouver des solutions originales pour nous en sortir et compenser le fait que nous n’avons pas la même force de frappe qu’eux. Car il faut bien le dire, lorsque nous avons en France un budget pour un projet spatial, vous ajoutez un zéro pour le projet équivalent aux Etats-Unis.
Pendant notre entretien, vous avez à plusieurs reprises évoqué la chance, notamment d’avoir pu réaliser tel ou tel rêve. Est-ce un facteur important ?
Les ingénieurs que nous sommes doivent surtout savoir minimiser les causes potentielles de malchance. Il faut pour cela acquérir la capacité à voir arriver les choses, à essayer de ne pas rater les opportunités, à savoir saisir ce qui arrive. Cela s’apprend aussi au fil des années, avec l’expérience. Après, comme dans tout métier, il y a évidemment du stress, des difficultés, des risques à prendre ou pas, et parfois même la nécessité de savoir « travailler mal », sacrifier un peu de la qualité qui nous est pourtant si chère, lorsque les enjeux d’un lancement à telle échéance sont absolument cruciaux. Cela fait aussi partie de notre job.
« Si vous avez un rêve, poursuivez-le, quitte à prendre des chemins de traverse »
À la lumière de ce parcours riche, que dites-vous aux jeunes ingénieurs, aux futurs diplômés ?
N’abandonnez jamais. Si vous avez un rêve, poursuivez-le, quitte à prendre des chemins de traverse. N’oubliez jamais votre objectif premier. On peut s’en éloigner pendant quelques années puis trouver un moyen d’y revenir.
Quels vont êtes les grands défis des ingénieurs qui sortent aujourd’hui de l’école ?
Deux thématiques fondamentales s’imposent, avec urgence. D’une part l’énergie, avec un immense défi à relever, entre énergies renouvelables, nucléaire et énergies fossiles, pour créer un mix qui permette de sauver l’habitabilité de notre planète pour les humains. Nous allons avoir besoin d’énormément de talents pour trouver les bonnes solutions. Et puis, et c’est en lien, il y a tout ce qui touche au climat et à la biodiversité. Car disons-le, nous sommes face à un grand danger qui nécessite de trouver des solutions, en termes d’organisation des sociétés, d’urbanisme, d’isolation des bâtiments, de transport, d’agriculture… Tous les corps de métiers vont être sollicités. L’interdisciplinarité sera essentielle car tous les sujets sont imbriqués. Pour relever ces défis gigantesques en s’appuyant sur une vision système, il va falloir que tout le monde se retrousse les manches, et les jeunes ESME auront un rôle à jouer.
Article rédigé par Emmanuel Bonzé, Journaliste rédacteur.
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