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Et pourtant ils font un travail qui a du sens !

Pour réfléchir

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23/05/2021

Une récente consultation menée par l'Ordre des infirmiers a mis en évidence que 40% de ses professionnels affirme avoir envie de changer de métier. En pleine crise du Covid-19, cette annonce résonne comme un révélateur du contexte particulièrement éprouvant qui a marqué le monde de la santé. Pourtant, cette enquête, destinée à donner des perspectives de carrière à la profession, révèle des causes bien plus profondes que celles qui seraient uniquement liées à la conjoncture sanitaire.  

Si la lassitude des professionnels de santé est réelle, l’analyse plus détaillée des résultats de cette consultation menée fin avril 2021, confirme que la source de leur démotivation se fonde largement sur la dégradation des conditions d’exercice de leur métier. Accélération des rythmes de travail, manque d’effectifs, déresponsabilisation par des process inadaptés, manque de reconnaissance, tâches inappropriées dans des conditions de travail éprouvantes parfois ingrates … font partie des motifs qui expliquent l’envie des infirmiers de changer de métier. En vérité, ces constats ne sont que la conséquence d’un contexte professionnel largement envahi par le poids des procédures, des contrôles et des chiffres. L’approche gestionnaire a pris le dessus dans le quotidien des soignants sur le soucis du soin et de l’attention au patient. La crise sanitaire n’est donc pas la cause de ces désengagements, elle n’en est que l’amplificateur.

Cette tendance vers une approche purement comptable du travail cependant n’est pas nouvelle, elle n’est d’ailleurs pas l’apanage du milieu hospitalier et traverse aujourd’hui des pans entiers de notre monde professionnel. Les actifs se trouvent progressivement embarqués malgré eux dans une gestion de processus plus que de responsabilités. A tous niveaux, opérateurs comme cadres sont pris dans une spirale de l’optimisation de leur travail qui aspire toutes les attentions individuelles et collectives. Les organisations détournent ainsi leurs salariés de l’objet même de leurs missions, ce qui finit inéluctablement par les priver de leur capacité d’engagement. Dans la santé, comme dans l’éducation, ou dans l’action sociale, des professionnels qui font un travail qui a du sens éprouvent aujourd’hui le sentiment que leur métier n’en a plus.

Le Ségur de la Santé a cherché à résoudre ces constats alarmants exprimés dans le monde hospitalier bien avant que ne débute la crise sanitaire. Certains reconnaissent des efforts substantiels pour la valorisation des carrières, d’autres considèrent que les avancées sont insuffisantes. Quels que soient les effets sur les rémunérations, la réponse demeure avant tout syndicale. A savoir que les mesures n’agissent que sur les reconnaissances financières et ne traitent pas le mal-être à sa racine. Par le passé, dans de nombreuses autres situations, dans l’industrie ou dans les services, ces traitements pécuniaires ont voulu servir d’amortisseur à des revendications qui trouvaient davantage leurs sources dans les conditions d’exercice du métier que dans les niveaux de rémunérations. Aussi, passés les effets des premières augmentations salariales, les dysfonctionnements et conditions de travail dégradés seront toujours présents et feront rejaillir un jour ou l’autre la démotivation générale.

Faut-il en déduire que ces infirmiers et infirmières n’aiment plus leur travail ? Certainement pas. Les métiers du soin à la personne font partie de toutes ces professions dans lesquelles la volonté d’aider l’autre est une motivation profonde. Dans le cas particulier du secteur médical et para médical, la finalité donne un sens très concret au travail des soignants. On constate à cet égard durant cette crise un engouement renforcé pour les reconversions professionnelles vers les métiers de l’aide à la personne en général. Les formations de thérapeute ou aux métiers de l’accompagnement connaissent à juste titre un regain d’intérêt d’actifs en quête de sens.

Au delà des questions de saturation des services de réanimation, la crise sanitaire aura donc été le révélateur des réalités de la détérioration du travail des professionnels de santé. Car si le contexte actuel est anormal, il ne doit pas occulter ce phénomène profond que constitue une forme de déshumanisation du monde du travail. Celle-ci est d’autant plus incohérente dans des métiers caractérisés par une forte relation à l’humain, exercés par des professionnels engagés par vocation. A cet égard, c’est probablement aussi pour cette raison que le système « tient ». Sans cette vocation, qui a pour conséquence un dévouement sans limite, il est fort probable que la crise eu été pire que celle que nous avons connue. Le bilan révélé par cette consultation de l’ordre des infirmiers est donc d’autant plus inquiétant qu’il témoigne de l’immense fragilité d’une société qui ne tient plus qu’à l’engagement de professionnels à la limite de l’épuisement… Et ce serait plus largement une alerte pour les multiples autres secteurs professionnels qui se reconnaitront dans ces constats symptomatiques de la perte de sens au travail.


Cet article de Laurent Polet est paru dans les Echos, rubrique "idées", du 18 mai 2021.


Laurent Polet est Professeur en Management à l’Ecole CentraleSupélec, et DG Fondateur de Primaveras, www.primaveras.fr l’Ecole du Sens au Travail spécialisée dans les choix de carrière à fort enjeu. Il préside également Le Réseau Primaveras, association francilienne active dans l’insertion de ces personnes en quête de sens.
L'AIESME est partenaire de Primaveras
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